Echos du Chaos Philippe Deléglise in Echos du chaos, URDLA, Villeurbanne

Mes images occupent un espace clos suivant une procédure déterminée, ce dont aucune disposition formelle ne rend compte absolument: les positions sont relatives, les variations tendent à l’infini.

Le concept oriente la composition: l’image occupe un espace dont la planche est le lieu inchoatif. Lieu transitoire, espaces spécifiques.
La spécificité des techniques permet d’envisager de nouvelles matérialisations du concept.

Le bois, le burin, l’aquatinte, sont des techniques reliées au concept par la planche.

Le lien que j’établis avec les précurseurs de l’abstraction porte sur un engagement intime dans le processus de composition : la composition indique un projet vital.

Cet engagement s’en remet à une propriété singulière attribuée au plan-support de l’image. Ce dernier se manifeste à la foi comme réalité matérielle et comme abstraction bidimensionnelle ; une fois en tant que support physique de l’image et simultanément en tant que plan de projection. En ceci le plan- support révèle sa faculté de faire basculer l’image au-delà de son évidence première, vers une vision.

Il est un lieu à part, source vive des images.

Toute nouvelle matrice porte l’espoir d’un horizon élargi.

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Le lieu n’a pas d’orientation, le lieu est présent à lui-même.

L’espace est orienté par la composition.

Tout mouvement partiel provoque une modification instantanée et complète de l’occupation de l’espace. [Valeur égale de toutes les parties de l’espace.] Valeur des lignes et valeur égale des vides.

Le concept convoque l’unité du lieu. L’espace et le temps sont saisis ensemble. [La matérialisation du concept révèle l’interdépendance des parties.]
Une image présentant simultanément toutes ses variantes saturerait l’espace.

Par cette concentration massive, elle représenterait alors une vision condensée du temps, une négation de l’histoire [comme son inverse la tabula rasa].
De ce point de vue le carré noir est, par sa densité, une image absolue, d’un mutisme terrifiant. [Son au- delà est la littérature.]

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Rouge-jaune-et-bleu, sainte trinité.

Trio matriciel qui modèle le plan.

Pans croisés de couleurs primaires. La logique de la forme détermine la logique chromatique. Rigueur topographique, modulations de fréquence, aléas des conjonctions. Rouge-jaune-et-bleu provoque l’unité panique de l’image.

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La forme découle du matériau, le matériau est informé du sens, le sens se dévoile dans le temps.

La forme est instable, le sens se forme au fil du temps. La vision se développe. La forme occupe l’espace, le sens occupe le temps.

Le sujet est un sujet collectif; sa composition fonde son autonomie.

Le sujet individuel participe du sujet collectif ; son autonomie est relative.

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Abandon au lieu, occupation de l’espace. Sollicitation du sens.

Le dérapage est intempestif, accidentel, il est un décentrement de soi-même, l’attirance subite d’une affinité [intuition].

La dérive est insensible. Déjà elle est en cours. Elle pèse sur la trajectoire [inspiration].

Déraper, dériver: ouvrir l’angle de la perspective [accueillir l’intrus] ?

La lenteur suspends les jugements de valeurs, cultive le vide axiologique. Elle se rend disponible au sens
[dans l’urgence, la vitesse de réaction induit le sens par inertie].

S’il y a un titre, il arrive en conclusion.

Houen-touen : croisé dans les Leçons sur Tchouang-Tseu de Jean François Billeter, éd. Allia, Paris 2002.