A propos de composition Philippe Deléglise in Composition Décomposition, Middeltown CT, édition Swiss Institute et Wesleyan University

Lʼart abstrait est devenu adulte, il a généré ses propres modes et ne sʼoppose plus, de manière réactive, aux critères dʼun ordre ancien.

Lorsque lʼon aborde la peinture abstraite aujourd’hui, un tel postulat me paraît nécessaire. Il faut en effet remplacer lʼapproche héritée du modernisme dont les catégories sont trop liées à lʼattaque de la perspective et de la figuration, souvent au sein dʼune polarité manichéenne: matérialisme contre illusionnisme, réalité contre réalisme.
Dʼidéalisation de la forme1, que lʼon trouve à son origine, lʼabstraction est devenue bien davantage une formalisation des idées. Ces idées sont avant tout picturales, mais aussi spatiales, géométriques, rythmiques, topographiques, algébriques etc… que leur utilisation soit symbolique, comme vecteur de sens, ou au contraire purement formelle nʼentre pas ici en ligne de compte.

Vu sous cet angle, il faut réévaluer le rôle de la composition. Comme structure sous- jacente ordonnant les parties et assurant la cohésion de lʼensemble, elle est traditionnellement la part abstraite de toute peinture. Ainsi, lorsque lʼon aborde la peinture abstraite, composition et peinture tendent à devenir congruentes dans la mise en forme de lʼidée. La composition peut être vue comme le catalogue des décisions prises et la peinture comme leur mise en oeuvre.

Jʼévoque cette question car il me semble que le large usage qu’il a été fait ces dernières décennies, souvent à juste titre, dʼun mode de composition non-relationnel (partant dʼAlbers à travers tout le minimalisme) ait à la longue insinué lʼidée que la peinture abstraite pouvait se passer de composition. Or cʼest à mes yeux une idée absurde (les compositions non relationnelles ne sont que des cas particuliers de compositions). Car sans composition la peinture ne serait plus perçue comme art.

En effet, telle que je lʼentends, la composition est lʼensemble des décisions nécessaires pour permettre la matérialisation de lʼidée dans la peinture. A lʼinverse, la représentation engage le spectateur à une perception sensible, immédiate, de lʼidée à partir de sa matérialisation.

On voit donc que la composition et la représentation sont liées intrinsèquement au processus réflexif de la peinture. Cʼest ce processus qui permet aussi à la peinture de se représenter elle-même et de manifester ainsi, de manière autonome, la présence de lʼart.

Philippe Deléglise, septembre 1993

 

1 – idéalisation qui débouche, via le Bauhaus et les théories de la forme, sur une instrumentalisation de la recherche formelle (graphisme, design) au profit du monde réel, lʼutopie de “lʼart dans la vie” se dissolvant finalement dans une esthétique de marché.

(Publié en anglais (version abrégée) in “Composition Décomposition” , Philippe Deléglise Roland Dahinden, catalogue dʼexposition, édition Swiss Institute NY et Wesleyan University CT.)